Lorsque nos vulnérabilités sont teintées par l’histoire : Les mécanismes épigénétiques à l’œuvre

By: Emmanuelle Garcia

L’été 2021 fut marqué par la découverte de plus de 1 000 sépultures anonymes sur les sites d’anciens pensionnats autochtones suscitant ainsi une vague d’indignation au Canada. Les atrocités commises à l’endroit des 150 000 enfants ayant fréquenté l’un des 139 pensionnats actifs entre 1831 et 1996 constituent une page sombre de l’histoire. Dans cet article, je montrerai comment l’expression génétique peut jouer un rôle dans la transmission de ces traumatismes et comment les enfants autochtones en sont encore affectés. De ce fait, ces derniers voient leur droit à la sécurité menacé et forment un groupe d’enfants particulièrement vulnérables (Lubit et al., 2003).

Certains se demandent probablement comment des événements survenus au siècle dernier continuent d’avoir des effets sur les générations actuelles. Sans en être l’unique cause, l’épigénétique nous permet de mieux appréhender ce phénomène. L’épigénétique désigne les mécanismes héréditaires influençant l’expression des gènes d’un individu selon l’environnement au sein duquel il évolue (NSCDC, 2010). Dans les faits, bien que la séquence génétique (ADN) des personnes victimes d’une expérience traumatique ne se modifie pas en soi, des études indiquent que vivre un traumatisme peut modifier l’expression génétique de la personne victime et que cette expression peut être héréditaire. Ainsi, l’enfant dont le parent a vécu un traumatisme développera possiblement certaines vulnérabilités selon, par exemple, le niveau de stress, la qualité de l’alimentation et l’accès à des services de santé caractérisant son milieu. Ces vulnérabilités agissent, entre autres, sur les sphères de l’attachement de l’enfant, ses processus cognitifs et la régulation de ses émotions et de ses comportements (NCTSN, 2003). Ces effets sont perceptibles sur plus de trois générations (Jawaid et al., 2018). Par ailleurs, les résultats d’une étude menée auprès d’enfants négligés ayant vécu dans un foyer familial empreint d’un stress intense et perdurant indiquent des risques accrus de dépression et de troubles anxieux chez ces derniers (Callaghan, 2017). Néanmoins, la réversibilité de ces vulnérabilités est possible lorsque sont offerts à ces enfants, par exemple, des services psychosociaux visant le développement des capacités cognitives et d'autorégulation, la modification des schèmes de pensées, etc. (NCTSN, 2003). Au regard de la fermeture du dernier pensionnat en 1996, il apparaît pressant de fournir les moyens aux communautés de prévenir la perpétuation de ces traumatismes dans une visée de réconciliation avec les premiers peuples.

Au Québec, les statistiques montrent que le taux de négligence à l’endroit d’un enfant autochtone représente le premier motif pour lequel sa santé ou son développement est compromis. Par exemple, pour l’année 2020-2021, les données du CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec indiquent que 55 % des enfants autochtones suivis par leurs services l’étaient pour ce motif. De façon analogue, cette situation concerne les enfants autochtones vivant dans la région de l’Abitibi-Témiscamingue (53.1 %), la Côte-Nord (64.4 %) et l’Outaouais (80.8 %) (MSSS, 2021). Dès lors, des efforts doivent être déployés pour assurer à ces enfants la sécurité physique et psychologique à laquelle ils ont droit.

En effet, la ratification par le Canada de la Convention relative aux droits de l’enfant suppose la mise en place de « toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié ». Par ailleurs, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a signalé ses inquiétudes au gouvernement canadien quant aux risques de la surreprésentation des enfants autochtones dans le système de protection de l’enfance. Selon leurs recommandations, le Canada doit fournir les efforts nécessaires pour éliminer toutes formes de discrimination et d’accès inégalitaires aux soins et services éprouvés par ces groupes (Nations Unies, 2012). Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne garantit également aux enfants le droit à leur protection et leur sécurité par leurs parents ou les personnes significatives autour d’eux. Conformément aux recommandations de la Commission Laurent et dans l’objectif d’assurer le respect de ces droits, le Canada doit investir dans les services préventifs de santé et de services sociaux et garantir aux enfants autochtones un droit d’accès équitable à ces services (Gouvernement du Québec, 2021).

Finalement, il semble erroné d’envisager le déracinement de ces enfants à leur communauté et leur famille comme une solution souhaitable. Adopter cette ligne directrice contribuerait à perpétuer l’assimilation de ces peuples à la culture dominante, en plus d'avoir possiblement pour conséquence d’engendrer de nouveaux traumatismes au sein des générations futures. Plutôt, il faut miser sur l’expertise culturelle des Autochtones pour assurer la sécurité de leurs enfants et valoriser leur droit à l’autodétermination tout en investissant dans des services préventifs leur étant destinés.

Législation

Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12 art. 39

Convention relative aux droits de l’enfant, 1577 RTNU 27531 art. 19(1)

Références

Callaghan, B. (2017). Generational Patterns of Stress: Help From Our Microbes? Current Directions in Psychological Science, 26(4), 323–329. https://doi.org/10.1177/0963721417697737

Gouvernement du Québec. (2021). Instaurer une société bienveillante pour nos enfants et nos jeunes : Rapport de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse - avril 2021. https://www.csdepj.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_clients/Rapport_final_3_mai_2021/2021_CSDEPJ_Rapport_version_finale_numerique.pdf (PDF; 10.97 Mo)

Jawaid, A., Roszkowski, M. et Mansuy, I. M. (2018). Transgenerational Epigenetics of Traumatic Stress. Progress in molecular biology and translational science158(1), 273–298. https://doi.org/10.1016/bs.pmbts.2018.03.003

Lubit, R., Rovine, D., DeFrancisci, L. et Eth, S. (2003). Impact of trauma on children. Journal of psychiatric practice9(2), 128–138. https://doi.org/10.1097/00131746-200303000-00004

Ministère de la Santé et des Services Sociaux [MSSS]. (2021). Rapports statistiques annuels des services de protection et de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation et leur famille 2020-2021 (Publication no AS-480). https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-003141/?&date=DESC&type=statistiques-et-donnees&critere=type

National Child Traumatic Stress Network [NCTSN]. (2003). Complex Trauma in Children and Adolescentshttps://www.nctsn.org/resources/complex-trauma-children-and-adolescents

National Scientific Council on the Developing Child [NSCDC]. (2010). Early Experiences Can Alter Gene Expression and Affect Long-Term Development: Working Paper No. 10. Center on the Developing Child at Harvard University. https://developingchild.harvard.edu/wp-content/uploads/2010/05/Early-Experiences-Can-Alter-Gene-Expression-and-Affect-Long-Term-Development.pdf (PDF; 1.13 Mo)

Nations Unies. (2012). Comité des droits de l’enfant : Observations finales sur les troisième et quatrième rapports périodiques du Canada, soumis en un seul document, adoptées par le Comité à sa soixante et unième session (17 septembre-5 octobre 2012) (Publication no CRC/C/CAN/CO/3-4). https://www.unicef.ca/sites/default/files/imce_uploads/TAKE%20ACTION/ADVOCATE/DOCS/uncrc_observations_finales_canada_dec_2012.pdf (PDF; 243.47 ko)