Découverte des secrets de la première grande extinction de masse de la Terre

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Des chercheurs examinent un affleurement de calcaires fossilifères de la fin de la période ordovicienne sur le littoral de l'île d'Anticosti, Québec, Canada.
Une équipe de chercheurs publie une nouvelle étude qui explore la cause de l’extinction massive de l’Ordovicien supérieur
Découvrir la cause profonde des extinctions massives sur Terre est depuis longtemps un sujet brûlant pour les scientifiques, car comprendre les conditions environnementales qui ont conduit à l'élimination de la majorité des espèces dans le passé pourrait potentiellement aider à empêcher qu'un événement similaire ne se produise à nouveau.

Une équipe de scientifiques du département des sciences de la terre et de l'environnement de l'Université de Syracuse, de l'Université de Californie à Berkeley et de l'Université de Californie à Riverside, de l'Université de Bourgogne, de l'Université du Nouveau-Mexique, de l'Université d'Ottawa, de l'Université des sciences et technologies de Chine et de l'Université de Stanford a récemment publié un article sur l'extinction massive de l'Ordovicien supérieur, qui est la première, ou la plus ancienne, des "cinq grandes" extinctions de masse qu’a connues la vie sur Terre, il y a environ 445 millions d'années. Environ 85 % des espèces marines, dont la plupart vivaient dans des océans peu profonds proches des continents, ont disparu à cette époque.

L'auteur principal, Alexandre Pohl, de l'Université de Riverside (aujourd'hui chercheur à l'Université Bourgogne, en France) et ses coauteurs ont étudié l'environnement océanique avant, pendant et après l'extinction afin de déterminer la séquence d’événements ayant conduit à l’extinction massive de l'Ordovicien supérieur. Les résultats de leur étude ont été publiés dans la revue Nature Geoscience.

Contrairement aux extinctions massives rapides, comme l'extinction du Crétacé-Tertiaire, qui a entraîné la disparition soudaine des dinosaures et d'autres espèces il y a 65,5 millions d'années, l’extinction massive de l'Ordovicien supérieur s'est déroulée sur une plus longue période, avec des estimations allant de moins d'un demi-million à près de deux millions d'années.

L'un des principaux débats portant sur l’extinction massive de l'Ordovicien supérieur est de savoir si le manque d'oxygène dans l'eau de mer a provoqué l'extinction massive de cette période. Pour étudier cette question, l'équipe a intégré des tests géochimiques à des simulations numériques et à la modélisation informatique.

Zunli Lu, professeur de sciences de la Terre et de l'environnement à l'Université de Syracuse, et ses étudiants ont mesuré la concentration d'iode dans les roches carbonatées de cette période, dont des calcaires fossilifères superbement exposés sur l’île d’Anticosti située au Québec, ce qui a permis de faire des découvertes importantes sur les niveaux d'oxygène à différentes profondeurs de l'océan.

Leurs données, combinées à des simulations par modélisation informatique, suggèrent qu'il n'y a aucun signe d'un renforcement de l’anoxie - ou manque d'oxygène - au cours de l'événement d'extinction dans les océans peu profonds où vivaient la plupart des organismes. La désoxygénation de l’océan ne serait donc pas responsable de l’extinction. Le refroidissement climatique brutal qui s'est produit au cours de l'Ordovicien supérieur, combiné à d'autres facteurs, a probablement été responsable de l’extinction massive de l'Ordovicien supérieur.

D'autre part, il existe des preuves que l'anoxie dans les océans profonds s'est développée au cours de cette même période, un mystère qui ne peut pas être expliqué par le modèle classique de l'oxygène océanique, selon Alexandre Pohl, expert en modélisation climatique.

« L'oxygénation de l'océan supérieur en réponse au refroidissement était prévue, car l'oxygène atmosphérique se dissout préférentiellement dans les eaux froides, » explique Pohl. « Cependant, nous avons été surpris de constater une anoxie étendue dans l'océan inférieur, car l'anoxie dans l'histoire de la Terre est généralement associée au réchauffement climatique induit par le volcanisme. »

Les chercheurs attribuent l'anoxie en eaux profondes à la circulation de l'eau de mer dans les océans mondiaux. Selon M. Pohl, il faut garder à l'esprit que la circulation océanique est une composante très importante du système climatique. Les résultats de la modélisation informatique montrent que le refroidissement du climat a probablement modifié la circulation océanique, interrompant le flux d'eau riche en oxygène des mers peu profondes vers l'océan plus profond.

Selon M. Lu, le fait de reconnaître que le refroidissement du climat peut également entraîner une baisse des niveaux d'oxygène dans certaines parties de l'océan est un élément clé de leur étude.

« Pendant des décennies, l'école de pensée dominante dans notre domaine a été que le réchauffement climatique fait perdre de l'oxygène aux océans et a donc un impact sur l'habitabilité marine, ce qui peut déstabiliser l'ensemble de l'écosystème, » explique Lu. « Ces dernières années, des preuves de plus en plus nombreuses indiquent plusieurs épisodes de l'histoire de la Terre au cours desquels les niveaux d'oxygène ont également chuté dans des climats en refroidissement. »

Bien que les causes de l'extinction de l'Ordovicien tardif n'aient pas encore été pleinement identifiées, et ne le seront probablement pas avant un certain temps, l'étude de l'équipe exclut les changements d'oxygénation comme explication unique de cette extinction et ajoute de nouvelles données favorisant le changement de température comme mécanisme pivot de l’extinction massive de l'Ordovicien supérieur.

M. Pohl espère qu'à mesure que de meilleures données climatiques et des modèles numériques plus sophistiqués seront disponibles, ils seront en mesure d'offrir une représentation plus robuste des facteurs qui ont pu conduire à l'extinction massive de l'Ordovicien supérieur.

André Desrochers, professeur auxiliaire au département des sciences de la Terre et de l'environnement à l'Université d’Ottawa ajoute que cette étude illustre bien à nouveau la pertinence de la candidature d’Anticosti au patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’île d’Anticosti est reconnue comme le meilleur laboratoire naturel du monde pour l’étude des fossiles et des couches sédimentaires de la période allant de l’Ordovicien au Silurien. Cette période géologique coïncide avec un point critique de l’histoire de la Terre – le premier événement d’extinction massive.

La paléontologie exceptionnelle de l’île d’Anticosti est reconnue depuis plus d’un siècle, et continue d’attirer les chercheurs canadiens et étrangers les plus éminents.

L’article « Vertical decoupling in Late Ordovician anoxia due to reorganization of ocean circulation » est publié dans la revue Nature Geoscience.

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