En privant les moustiques de vol, une nouvelle moustiquaire réduit de près de moitié les cas de paludisme chez les enfants en Tanzanie

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Femme africaine assise sur un lit où l'enfant dort dans un filet.
Manisha Kulkarni
Une équipe de l’Université d’Ottawa participe à une étude internationale démontrant que le premier nouvel insecticide en 40 ans s’avère sûr et efficace sur les moustiquaires et qu’il pourrait sauver un grand nombre d’enfants.

En immobilisant et en éliminant les moustiques résistant aux insecticides traditionnels, un nouveau type de moustiquaire contribue à réduire considérablement le paludisme chez les enfants, selon une nouvelle étude publiée dans The Lancet.

Contrairement aux autres insecticides qui s’attaquent au système nerveux des moustiques pour les tuer, la nouvelle moustiquaire parvient au même résultat en les privant de leur alimentation et de leurs défenses.

Menant son étude sur une période de deux ans dans plus de 39 000 ménages tanzaniens, une équipe de recherche a réalisé des essais randomisés en milieu communautaire auprès de plus de 4 500 enfants de 6 mois à 14 ans. Elle a constaté que les moustiquaires imprégnées de deux insecticides, en l’occurrence du chlorfénapyr et des pyréthroïdes, sont parvenues à diminuer la prévalence du paludisme de l’ordre de 43 % et 37 % pour la première et la deuxième année de l’étude respectivement, comparativement aux moustiquaires imprégnées d’insecticide (MII) traditionnelles, qui sont strictement enduites de pyréthroïdes. L’utilisation de MII enduites de chlorfénapyr a aussi réduit les épisodes cliniques de paludisme de l’ordre de 44 % sur la durée de l’étude, et du nombre de moustiques porteurs capturés, de 85 %.

« Ces nouvelles moustiquaires ont le potentiel de sauver des millions de vies, surtout à l’heure où le paludisme recommence à faire des ravages dans certaines régions de l’Afrique subsaharienne où les moustiquaires traditionnelles ne font plus effet », explique Manisha Kulkarni, professeure agrégée à l’École d’épidémiologie et de santé publique, au sein de la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa.

L’étude a été réalisée conjointement par la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM), le National Institute for Medical Research et le Kilimanjaro Christian Medical University College, en Tanzanie, ainsi que l’Université d’Ottawa, au Canada.

Les moustiquaires imprégnées d’insecticide sont au cœur de la stratégie de lutte antipaludique en Afrique subsaharienne. Ces dernières années, toutefois, les cas ont cessé de diminuer, et la tendance est même à la hausse dans certains pays. Quelque 627 000 personnes ont été emportées par le paludisme en 2020, la plupart en Afrique, et la plupart des enfants.

Dr. Manisha Kulkarni in the field

« Ces nouvelles moustiquaires ont le potentiel de sauver des millions de vies, surtout à l’heure où le paludisme recommence à faire des ravages dans certaines régions de l’Afrique subsaharienne. »

La Dre Manisha Kulkarni

— Professeure agrégée, l’École d’épidémiologie et de santé publique, au sein de la Faculté de médecine

Cette recrudescence s’explique en partie par le fait que les moustiques anophèles résistent désormais largement aux insecticides pyréthroïdes dont sont imprégnées les moustiquaires. Les effets du chlorfénapyr sont tout autres que ceux des pyréthroïdes : il provoque des crampes dans les muscles des ailes, qui cessent alors de fonctionner. Incapables de piquer et privés de tout contact avec leurs hôtes potentiels, les moustiques finissent par succomber au produit.

« En clouant le moustique au sol, le chlorfénapyr ajouté aux moustiquaires traditionnelles déjà imprégnées de pyréthroïdes pourrait très bien contribuer aux efforts antipaludiques en Afrique, là où les moustiques résistent aux insecticides », affirme la professeure Kulkarni, dont les modèles écologiques des espèces porteuses ont servi à élaborer le protocole de recherche et à randomiser les essais. La chercheuse a aussi participé à l’analyse épidémiologique des données recueillies et à la publication des résultats de l’étude.

L’équipe de recherche indique que ce nouvel outil pourrait donner un important élan à la lutte antipaludique en Afrique subsaharienne, mais qu’il faudra d’autres recherches pour, d’une part, déterminer s’il est possible d’en accroître l’échelle de production, et de l’autre, bâtir des stratégies de gestion de la résistance pour qu’il demeure efficace à long terme.

« Le paludisme demeure un problème majeur en Afrique subsaharienne, et l’une des principales causes de mortalité en Tanzanie, explique Jacklin F. Mosha, auteure principale de l’étude et chercheuse au National Institute for Medical Research, en Tanzanie. Il faut intervenir de toute urgence pour reprendre la situation en main et protéger les jeunes contre cette maladie mortelle. Ces résultats sont encourageants, car ils démontrent l’existence d’un autre outil efficace pour combattre le paludisme. »

À Misungwi, où l’on a signalé une forte résistance des moustiques aux pyréthroïdes, des enfants de 72 villages ont été répartis en groupes aléatoires et ont reçu l’un de trois nouveaux types de moustiquaires prometteurs. L’équipe leur faisait ensuite passer un test de dépistage du paludisme à la fin de chaque saison des pluies.

Vingt-quatre mois plus tard, les cas avaient baissé de 37 % chez les enfants qui avaient reçu une MII enduite de chlorfénapyr (326/1272) comparativement à ceux qui avaient reçu une MII standard (549/1199).

Une moustiquaire enduite de butoxyde de pipéronyle, qui sert à décupler les effets des pyréthroïdes, est parvenue à réduire de 27 % les infections paludiques au cours des 12 premiers mois d’essais; après deux ans, le nombre de cas redevenait toutefois semblable à celui observé pour la moustiquaire traditionnelle. Ces résultats sont probablement attribuables au fait que ces moustiquaires se dégradaient plus rapidement, et étaient ainsi moins fréquemment utilisées.

Un troisième type de moustiquaire, celui-là enduit de pyriproxifène pour stériliser les moustiques femelles, s’est révélé à peine plus efficace que les MII traditionnelles. À défaut de pouvoir expliquer exactement pourquoi, l’équipe de recherche soupçonne que le pyriproxifène s’est dissipé à mesure que progressait l’étude.

S’il est plus coûteux de produire des MII enduites de chlorfénapyr, la baisse des cas de paludisme à traiter vient toutefois compenser l’écart. Leur distribution serait ainsi moins coûteuse pour les ménages et la société que les moustiquaires standards ou, encore, que celles enduites de butoxyde de pipéronyle ou de pyriproxifène.

« Nous avons démontré que les MII enduites de chlorfénapyr sont sûres, efficaces pour réduire les cas de paludisme chez les enfants, et peu coûteuses au regard de leurs résultats, affirme Natacha Protopopoff, professeure à la LSHTM et chercheuse principale de l’étude. L’Organisation mondiale de la Santé et les programmes de lutte contre le paludisme s’appuieront sur ces données pour déterminer s’il y a lieu d’utiliser ces nouvelles moustiquaires là où on enregistre une résistance aux insecticides et où les moustiquaires standards ne font plus l’affaire.

« Cela dit, la prudence est de mise, poursuit-elle. Dans les 10 à 20 dernières années, la résistance aux pyréthroïdes s’est rapidement répandue en raison de l’importante production de moustiquaires imprégnées de ces insecticides. Aujourd’hui, le défi consiste donc à préserver l’efficacité du chlorfénapyr en mettant au point des stratégies rationnelles de gestion de la résistance.

« Les programmes nationaux de lutte contre le paludisme et les parties intéressées auraient tout intérêt à promouvoir dès aujourd’hui l’intégration de textiles et d’insecticides plus durables aux nouveaux types de moustiquaires pour maximiser leur durée de vie et leur efficacité. »

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